Dr Noël François
Médecin-chef d'établissement, Centre médical pour adolescents,
Nefmoutiers-en-Brie (77)
Procréation et handicap moteur
d'origine neurologique médullaire
Un certain nombre de pathologies à l'origine d'un handicap moteur peuvent
entraver la faculté de procréer (par perturbation des possibilités
d'avoir des relations sexuelles ordinaires, ou plus rarement par stérilité).
Les lésions médullaires masculines sont de loin la première
cause de ces troubles (et pratiquement la seule en terme de stérilité)
et seront seules évoquées; dans un certain nombre de cas, des
possibilités thérapeutiques ou palliatives existent, qui doivent
être connues.
PRÉALABLES
Avant tout conseil sur le plan génito-sexuel, il faut procéder
à une analyse clinique la plus fine possible et retracer avec le couple
les expériences précédentes et faire le point sur les résultats
des différentes techniques déjà essayées.
Il faut ensuite éliminer toute " épine irritative "
dans le territoire sacré (ongle incarné, irritation cutanée
ischiatique ou sacrée, fissure anale, hémorroïdes, infection
urinaire latente), causes possibles de difficultés supplémentaires
susceptibles d'interférer avec l'arc réflexe lors des stimulations.
Il faut également écarter les soucis orthopédiques, notamment
au niveau des hanches, vérifier l'absence ou l'importance des contractures
en fonction du stimulus utilisé, les zones d'hypoesthésie ou d'hyperesthésie
résiduelles. Enfin, il tant vérifier les possibilités de
rapport sexuel (qualité et durée d'érection suffisantes)
.
Enfin, il est important de déterminer si l'espace compris entre D12
et L2 se situe en-dessous de la lésion ou au-dessus de la lésion
:
- premier cas : l'espace médullaire à partir de D12 est sous-lésionnel;
la moelle, dans ce cas, peut reprendre son rôle de centre automatique
et on peut espérer pouvoir boucler un arc réflexe pour obtenir
une éjaculation.
- deuxième cas : la lésion concerne l'espace D12-L2 : il n'y
a malheureusement pas de possibilité de créer un arc réflexe
si la lésion est complète;
troisième cas : D12-L2 se situe au dessus de la lésion médullaire
ou des racines sacrées. Si la lésion est complète, on peut
quand même penser pouvoir obtenir une éjaculation d'origine psychogène
mais sur verge molle.
AIDE A L'ÉRECTION
Trois types d'aide peuvent être proposés pour améliorer
la qualité de l'érection.
Les moyens locaux mécaniques
Ils doivent être le moins traumatisants possible car ils sont le plus
souvent utilisés en zone insensible : si une simple stimulation locale
permet d'obtenir une érection d'assez bonne qualité, il faut essayer
d'en prolonger la durée par la mise en place d'un élastique à
la racine de la verge qui permet de faire un léger garrot pendant le
temps désiré. Il faudra bien sûr savoir calibrer cet élastique
(choisir un étui pénien d'un calibre inférieur à
celui porté habituellement dont on découpe la collerette; les
joints cylindriques ont une section ronde moins traumatisante) : un calibre
trop lâche est inefficace, trop serré, il peut être agressif
et dangereux. Certains peuvent utiliser un appareillage plus " médical
" du type Encore®. Il est toujours conseillé d'utiliser un lubrifiant
du type Lubrant ou Sensital afin d'éviter tout réflexe de rétraction
de verge, signe d'une irritation.
Le vibromassage est souvent utile : il peut être ressenti comme trop
agressif dans des lésions médullaires incomplètes sensitives
et spastiques mais il est très utile pour provoquer un démarrage
d'érection s'il est pratiqué tout d'abord à la racine de
la verge et si on en porte la stimulation sur le bourrelet du gland ou le frein
du prépuce, on peut obtenir l'éjaculation. D'autres paraplégiques
font appel à un système de pompe aspirante pour provoquer l'érection
(il faut être suffisamment prudent si la sensibilité locale est
défaillante).
Les moyens chimiques
En l'absence de réflexe sacré, on peut avoir recours aux injections
locales de papavérine en étant prudent. En effet, les premières
injections doivent être pratiquées en milieu hospitalier pour faire
face notamment à toute survenue de priapisme. On injecte au niveau du
corps caverneux. L'érection peut être obtenue au bout de quelques
minutes et durer une heure ou plus (au-delà de deux à trois heures,
il faut faire appel à un médecin pour vérifier si une ponction
est nécessaire ou non). Des recherches en cours ont montré que
l'utilisation de prostaglandines permettaient d'une part de diminuer fortement
les risques de
priapisme, et d'autre part d'éviter l'apparition de fibroses des corps
cavemeux au long cours comme cela a pu être observé chez les patients
qui utilisent la papavérine depuis très longtemps et très
régulièrement. D'autres recherches sont en cours.
Les prothèses péniennes
Elles doivent être citées comme moyen mécanique d'implantation
chirurgicale. Les vraies indications semblent rares dans la mesure où
il s'agit d'implanter un corps étranger en zone insensible. Un collecteur
est souvent placé à l'extérieur sur la verge, ce qui risque
de comprimer la verge sur la prothèse. Enfin des infections urinaires
ne sont pas rares, ce qui est un facteur de risque supplémentaire. Les
prothèses semi-rigides entraînent une érection pratiquement
permanente. Les prothèses hydrauliques américaines à "
géométrie variable " nécessitent une manipulation
de valve et donc peuvent encore être sujettes à " révision
" chirurgicale.
L'AIDE A L'ÉJACULATION (ET A LA PROCRÉATION)
Pour se placer sur un plan purement technique, on devra faire appel à
différents moyens adaptés à la définition neurologique,
comme il a été rappelé ci-dessus.
Des moyens mécaniques
Il s'agit avant tout du vibromassage si la lésion se situe au-dessus
de D 12 et si la spasticité sous-lésionnelle est franche. Le vibromasseur
placé sur une verge en érection au niveau du bourrelet du gland
ou du frein du prépuce, peut au bout de quelques minutes provoquer un
arc réflexe dans la mesure où on a respecté le temps correspondant
" aux prémices classiques " . Le risque pour les lésions
hautes (D6 et au dessus) est la survenue d'une hyper-réflectivité
autonome (HRA) avec les sueurs, quelques céphalées occipitales,
qui elles mêmes vont précéder le moment de l'éjaculation.
Il faut donc être prudent; dans certains cas peut être prescrit
un peu de décontractant pour éviter que l'hyper-réflectivité
ne se manifeste de façon trop aiguë.
En cas d'échec du vibromassage, on peut avoir recours, et uniquement
dans les cas de paraplégie complète sur le plan sensitif, à
une électrostimulation par sonde intra-rectale. Ce mode de stimulation
plus agressif semble avoir une triple action, tout d'abord purement mécanique
sur la partie correspondant à la prostate, une action de stimulation
musculaire locale et une troisième action sur la stimulation neurologique
du centre éjaculateur aboutissant à une émission de sperme
dont la composition est souvent légèrement moins " bonne
" que celle obtenue par vibromassage. Jusqu'à présent l'électrostimulation
n'est pratiquée que par des médecins.
Les moyens chimiques
Il s'agissait avant tout de l'ésérine qui est pratiquée
depuis plusieurs années en injection sous-cutanée et qui a pour
effet de rendre les centres médullaires plus réceptifs aux stimulations.
Les premières injections d'ésérine doivent être pratiquées
en milieu hospitalier dans la mesure où il existe des effets secondaires,
digestifs ou cardio-vasculaires, qu'il faut savoir prévenir ou traiter.
Lorsque le sujet a un résultat positif, il pourra poursuivre des stimulations
à domicile. Habituellement, on essaye de coupler les différents
modes de stimulation mécanique et chimique pour diminuer les effets secondaires
de chacun et potentialiser leurs effets positifs. Aujourd'hui, l'ésérine
est progressivement remplacée par un autre produit, le Gutron.
En cas d'échec
Si les modes de stimulation précédents n'ont pas suffi, nous
faisons appel à la ponction directe des canaux déférents
qui, lorsque le recueil le permet, aboutit à une insémination
ou, depuis quelques temps de façon plus systématique, à
une proposition de fécondation in vitro (FIV) dans la mesure où
ces techniques permettent d'augmenter les chances de succès. Ne sont
retenus, pour ce type de procréation assistée, que les couples
qui ont essayé tous les modes de stimulation précédents
sans succès.
Deux cas particuliers :
- le jeune handicapé célibataire qui souhaite pour l'avenir préserver
ses chances de paternité : une information doit être fournie, des
essais faits en consultation, et parfois nous obtenons un résultat positif
qui permet la mise en banque. On peut en effet, lorsque que cela est possible
et souhaité, conserver des paillettes de sperme au CECOS (Centre d'études
et de conservation du sperme), pour mettre le sujet à l'abri de toute
complication prostatique ou d'orchite qui compromettrait la qualité spermatique.
- les aspects spécifiques de l'homme paraplégique par spina-bifida
: les tableaux cliniques sont encore beaucoup plus variés. Il existe
bien souvent un mélange de sensibilité et de commande volontaire
normale associé à des lésions périphériques,
elles-mêmes associées à un automatisme central sacré
qui donne des tableaux cliniques extrêmement divers. Chez l'homme, les
risques infectieux uro-génitaux apparus au cours de la petite enfance
risquent d'avoir une répercussion péjorative pour la procréation
du fait de la fréquence, notamment, de lésions prostatiques et
des possibilités de reflux urinaire au niveau de la prostate et des vésicules
séminales
FEMME PARAPLÉGIQUE ET PROCRÉATION
Chez une femme paraplégique en âge de procréer, une grossesse
peut survenir alors même que les règles ne sont pas réapparues
après l'accident. En effet, le cycle peut reprendre son cours après
le choc spinal (juste après l'accident). et une fécondation survenir.
En ce qui concerne les précautions en cours de grossesses, il y a lieu
d'être vigilant pour le transit intestinal et la répercussion urologique,
du fait des changements de volume abdominaux et des compressions qui peuvent
en résulter. Les précautions cutanées seront redoublées.
En ce qui concerne l'accouchement, il faudra être particulièrement
vigilant si la lésion est flasque, dans la mesure où le travail
peut se déclencher sans douleur sur un périnée flasque.
Chez une femme dont la lésion neurologique est au-dessus de D6 avec une
spasticité sous-lésionnelle, le déclenchement du travail
à l'accouchement peut provoquer un accès d'hyper-réflectivité
autonome et il est préférable de prévoir une péridurale
avec ou sans césarienne.
Après la naissance de l'enfant, il ne faudra pas négliger chez
la mère la fragilité cutanée, la petite anémie hypochrome
fréquente qui provoque une fragilité cutanée accrue, et
prévoir une aide maternelle suffisamment longtemps.
Pour en savoir plus
Chapelle A., Balet R, Paraplégique; fécondité et stérilité.
Garches, Club des loisirs et d'entraide, Hôpital Raymond Poincaré,
1984.
Soulier B., Aimer au delà du handicap Toulouse, Privat, 1994.
(Référence : Association des paralysés de France. Déficiences
motrices et handicaps, Aspects sociaux, psychologiques, médicaux, techniques
et législatifs, troubles associés. Paris : Association des paralysés
de France, 1996, 505 p., p. 345-348)